Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/414

Cette page n’a pas encore été corrigée

dire qu’en ce temps là, il ait jamais fait, ny pensé chose dont il ne m’ait rendu conte et demandé advis. Ceste extreme sousmission, et si longuement continuée me fit tres-certaine qu’il m’aimoit, et ses merites qui jusques alors ne m’avoient peu obliger à l’aimer, depuis ce temps m’y convierent de façon, que je puis dire avec verité, n’y avoir rien au monde de plus aimé que Rosidor l’estoit de Cloris, dont il se sentit de sorte mon redevable, qu’il augmenta son affection, si toutesfois elle pouvoit estre augementée. Nous vesquimes ainsi plus d’un an, avec tout le plaisir qu’une parfaite amitié peut rapporter à deux amants. En fin le Ciel fit paroistre de vouloir nous rendre entierement contents, et permit que quelques difficultez, qui empeschoient nostre mariage fussent ostées : nous voilà heureux, si des mortels le peuvent estre. Car nous sommes conduits dans le temple, les voix d’Hymen Hymenée esclattoient de tous costez ; bref estant de retour au logis on n’oyoit qu’instrumens de resjouyssance, on ne voyait que bals et chansons, lors que le malheur voulut que nous fussions separez par une des plus fascheuses occasions, qui m’eust peu advenir. Nous estions alors à Vienne, où est la plus part des possessions de Rosidor. Il advint que quelques jeunes débauchez des hameaux qui sont hors de Lyon, du costé où nos Druides vont reposer le guy, quand ils l’ont couppé dans la grande forest de Mars, ditte d’Airieu, voulurent faire quelques desordres, que mon mary ne pouvant supporter, apres le leur avoir doucement remonstré, leur empescha d’executer, dont ils furent de telle sorte courroucez, que [pensant que ce seroit la plus grande offense qu’ils pourroient faire à Rosidor, que de s’attaquer à moy] il y en eut un d’eux qui me voulut casser une phiole d’ancre sur le visage. Mais voyant