Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/412

Cette page n’a pas encore été corrigée

mary ayant esté blessé pqr quelques ennemis, luy mandoit de l’aller trouver. Le patron qui estoit courtois, la receut fort librement, et ainsi le lendemain elle se mit dans le batteau avec nous. Elle estoit belle, mais si modeste et discrette, qu’elle n’estoit pas moins recommandable pour sa vertu, que pour sa beauté, au reste, si triste, et pleine de melancolie, qu’elle faisoit pitié à toute la troupe. Et parce que j’ay tousjours eu compassion des affligez, j’en avois infiniment de celle-cy, et taschois de la desennuyer le plus qu’il m’estoit possible, dont Florinate n’estoit guiere contente, quelque mine qu’elle en fist, ny Aimée aussi.

Car ressouvenez-vous, gentil Paris, que quoy que feigne une femme, elle ne peut s’empescher de ressentir la perte d’un amant, d’autant qu’il semble que ce soit un outrage à sa beauté, et la beauté estant ce que ce sexe a de plus cher, est la partie la plus sensible qui soit en elles. Moy toutesfois, qui parmy la compassion commençois à mesler un peu d’amour, sans faire semblant de voir ces deux filles, continuois de parler à celle-cy, et entre autres choses, à fin que les discours ne nous deffaillissent, et aussi pour avoir quelque plus grande cognoissance d’elle, je la suppliay de me vouloir dire l’occasion de son ennuy. Elle alors toute pleine de courtoisie, prit la parole de ceste sorte :

La compassion que vous avez de ma peine m’oblige bien, courtois estranger, à vous rendre plus de satisfaction encores, que ce que vous me demandez, et penserois de faire und grande faute, si je vous refusois si peu de chose ; mais je vous veux supplier de considerer aussi l’estat en quoy je suis, et d’excuser mon discours, si je l’abbrege le plus qu’il me sera possible.

Sçachez donc, berger, que je suis née sur les rives de Loire, où j’ay esté élevée aussi cherement jusques en l’aage de quinze ans, qu’autre de ma condition le sçauroit estre. Mon