mot, me donnant doucement sur la joue, s’en recourut entre ses compagnes.
Ceste Floriante estoit fille d’un tres-honneste chevalier, qui pour lors estoit malade, et se tenoit pres des rives de l’Arar ; et elle, ayant sceu la maladie de son pere, s’en alloit le trouver, ayant demeuré quelque temps avec une de ses soeurs, qui estoit mariée en arles. Pour le visage, il n’estoit point trop beau, car elle estoit un peu brune ; mais elle avoit tant d’affeteries, et estoit d’une humeur si gaillarde, qu’il faut advouer que ceste rencontre me fit perdre la volonté que j’avois pour Aimée, mais si promptement, qu’à peine ressentis-je le desplaisir de la quitter, que le contentement d’avoir trouvé celle-cy m’en osta toute sorte de regret.
Je laisse donc Aymée, ce me semble, et me donne du tout à Florinate. Je dis, ce me semble : car il n’estoit pas vray entierement, puis que souvent, quand je la voyois, je prenois bien plaisir de parler à elle, encor que l’affection que je portois à l’autre me tirast avec un peu plus de violence ; mais, en effet, quand j’eus quelque temps consideré ce que je dis, je trouvay qu’au lieu que je n’en soulois aimer qu’une, j’en avois deux à servir. Il est vray que ce n’estoit point avec beaucoup de peine ; car quand j’estoit pres de Floriante, je ne me ressouvenois en sorte du monde d’Aymée, et quand j’estois pres d’Aymée, Floriante n’avoit point de lieu en ma memoire. Et n’y avoit rien qui me tourmentast, que quand j’estois loin de toutes les deux : car je les regrettois toutes ensemble.
Or, gentil Paris, c’est entretien me dura jusques à Vienne. Mais estant par hazard au logis [car presque tous les soirs nous mettions pied à terre, et mesme quand nous passions pres des bonnes villes] ne voilà pas qu’une bergere vint prier le patron du batteau où j’estois, de luy donner place jusques à Lyon, parce que son