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feu secret, me donne tant d’occasion de declarer mon mal, qu’à peine le puis-je taire. Et d’autre costé ceste affection me fait craindre de sorte d’offenser celle que j’aime en le luy declarant, que je n’ose parler ; si bien que ceste affection, qui me devroit mettre les paroles en la bouche, est celle qui me les denie quand je suis aupres de vous. – De moy ? reprit-elle incontinent : pensez-vous bien, Hylas, à ce que vous dites ? – Ouy, de vous, luy repliquay-je, et ne croyez point que je n’aye bien pensé à ce que je dis, avant que de l’avoir osé proferer. – Si je pensois, me respondit-elle, que ces paroles fussent vrayes, je vous en parlerois bien d’autre sorte. – Si vous doutez, luy dis-je, de ceste verité, jettez les yeux sur vos perfections, et vous en serez entierement asseurée.

Et lors avec mille sermens, je luy dis tout ce que j’en avois sur le cœur. Elle sans s’esmouvoir, me respondit froidement : Hylas, n’accusez point ce qui est en moy de vos folies, car je sçauray bien y remedier de sorte, que vous n’en aurez point de sujet. Au reste, puis que l’amitié que ma mere vous porte, ny la condition en quoy je suis, ne vous a peu destourner de vostre mauvaise intention, croyez que ce que le devoir n’a peu faire en vous, il le fera en moy, et que je vous osteray tellement toute sorte d’occadion de continuer, que vous recognoistrez que je suis telle que je dois estre. Vous voyez comme je vous parle froidement : ce n’est pas que je ne ressente bien fort voste indiscretion, mais c’est pour vous faire entendre que la passion ne me transporte point, mais que la raison seulement me fait parler ainsi ; que si je vois que ce moyen ne vaille rien pour divertir vostre dessein, je recourray apres aux extremes.

Ces paroles proferées avec tant de froideur, me toucherent plus vivement que je ne sçaurois vous dire. Toutesfois, ce ne fut pas ce qui