n’eus-je jamais la hardiesse de luy faire paroistre mon dessein par mes paroles, que nous ne fussions bien pres d’Avignon, car Stilliane m’avoit beaucoup fait perdre de la bonne opinion que j’avois eue de moy-mesme. Mais, outre cela, elle estoit tousjours aux pieds de la vieille, qui ordinairement m’entretenoit du temps passé.
Il advint que ce grand convoy, avec lequel nous montions, ainsi que je vous ay dit, et que plusieurs marchands assemblez faisoient faire, alla branler dans une isle aupres d’Avignon. Et d’autant que nous, qui n’estions pas accoustumez aux voyages, nous trouvions tous engourdis de demeurer si longtemps assis, cependant que les batelliers faisoient ce qui leur estoit necessaire, nous mismes pied à terre, pour nous promener, et entre autres la belle-mère d’Aimée fut de la trouppe. Aussi tost que ma bergere fut dans l’isle, elle se mit á courre de long de la riviere, et à se jouer avec d’autres filles qui estoient sorties du batteau de compagnie, et moy je me meslay parmy elles, pour avoir le moyen de prendre le temps à propos, cependant que la vieille se promenoit avec quelques autres femmes de son aage. Et de fortune Aimée s’estant un peu separée de ses compagnes, cueillant des fleurs qui venoient le long de l’eau, je m’advançay, et la pris sous le bras ; et apres avoir marché quelque temps sans parler, enfin comme venant d’un profond sommeil, je luy dis : J’aurois honte, belle bergere, d’estre si longuement muet pres de vous, ayant tant de sujet de vous parler, si je n’en avois encor plus de me taire, et si mon silence ne procedoit d’où les paroles me devroient naistre. – Je ne sçay, hylas, me dit-elle, quelle occasion vous avez de vous taire, ny quelle vous pouvez avoir de parler, ny moins quelles paroles ou silence vous voulez entendre. -Ah ! belle bergere, luy dis-je, l’affection qui me consomme d’un