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n’avois un seul regret. Mais voyez combien il est difficile de contrarier à son inclination naturelle ! Je n’eus pas si tost mis le pied dans le batteau, que je veis un nouveau sujet d’amour.

Il y avoit, entre quantité d’autres voyageurs, une vieille femme, qui alloit à Lyon rendre des vœux au temple de Venus, qu’elle avoit faits pour son fils, et conduisoit avec elle sa belle-fille, pour le mesme sujet, et qui avec raison portoit le nom de belle, car elle ne l’estoit moins que Stilliane, et beaucoup plus que Carlis. Elle s’appelloit Aymée, et ne pouvoit encor avoir attaint l’aage de dix-huict ou vingt ans, et quoy qu’elle fust de Camargue, si n’avoit-elle point de cognoissance de moy, parce que son mary jaloux [comme son ordinairement les vieux qui ont de jeunes et belles femmes] et sa belle-mère soupçonneuse, la tenoient de si court, qu’elle ne se trouvoit jamais en assemblée. Or soudain que je la veis, elle me pleut, et quelque dessein que j’eusse fait au contraire, il la fallut aimer. Mais je prevy bien au mesme temps, que j’y aurois de la peine, ayant tromper la belle-mère, et à vaincre la velle-fille.

Toutesfois, pour ne ceder à la difficulté, je me resolus d’y mettre toute ma prudence, et jugeant qu’il falloit donner commencement à mon entreprise par la mere, car elle m’empeschoit de m’approcher de mon amie, je pensay qu’il n’y auroit rien de plus à propos,que de me faire cognoistre à elle, et qu’il ne pourroit estre, puis que nous estions d’un mesme lieu, que quelque ancienne cognoissance et amitié de nos familles, ou quelque vieille alliance ne me facilitast le moyen de me familiariser avec elle, et que l’occasion apres m’instruiroit de ce que j’aurois à faire. Je ne dus point deceu en ceste opinion, car aussi tost que je luy eus dit qui j’estois, et que j’eus faint quelque assez mauvaise raison