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car outre que je le croyois comme mon amy, ce bien ne me pouvoit estre cher, qui m’estroit venu sans peine, et me faisoit croire que j’obtiendrois bien quelque chose de meilleur, si je voulois m’y estudier. Luy d’autre part me le sçavoit si bien persuader, que je tenois pour certain n’y avoir bergere en toute Camargue, qui ne me receust plus librement que je ne voudrois la choisir.

Asseuré sur ceste creance, j’oste entierement Carlis de mon ame, apres je fay élection d’une autre que je jugeay le meriter, et sans doute je ne me trompay point, car elle avoit assez de beauté pour donner de l’amour, et de la prudence pour le sçavoir conduire. Elle s’appelloit Stilliane, estimée entre les plus belles et plus sages de toute l’isle, au reste altiere, er telle qu’il me falloit pour m’oster de l’erreur où j’estois. Et voyez quelle estoit ma presomtion : parce qu’elle avoit esté servie de plusieurs, et que tous y avoient perdu leur temps, je me mis à la rechercher plus volontiers, à fin que chacun cogneust mieux mon merite.

Carlis qui veritablement m’aimoit, fut bien estonnée de ce changement, ne sçachant quelle occasion j’en pouvois avoir, mais si fallut-il le souffrir. Elle eut beau me r’appeler, et pour le commencement user de toutes les sortes d’attraits, dont elle se peut ressouvenir, je n’avois garde de retourner, j’estois es trop haute mer, il n’y avoit pas ordre de reprendre terre si promptement ; mais si elle eut du desplaisir de cette separation, elle en fut bien tost vengée par celle-là mesme qui estoit cause du mal. Car me figurant qu’aussi tost que j’asseurerois Stilliane de mon amour, qu’elle se donneroit encor plus librement à moy, la premiere fois que je la rencontray à propos en une assemblée qui se faisoit, je luy dis en dansant avec elle : Belle bergere, je ne sçay quel pouvoir est le vostre, ny de