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commença de se mesler avec ceste presomption, il me sembloit que toutes les bergeres estoient amoureuses de moy, et qu’il n’y en avoit une seule qui ne receust mon amitié avec obligation. Et ce qui me fortifia en ceste opinion, fut qu’une belle et sage bergere, ma voisine, nommée Carlis, me faisoit toutes les honnestes caresses, à quoy le voisinage la pouvoit convier. J’estois si jeune encores, que nulles des incommoditez qu’amour a de coustume de r’apporter aux amants par ses transports violents, ne me pouvoyent atteindre, de sorte que je n’en ressentois que la douceur. Et sur ce sujet je me ressouviens que quelquefois j’allois chantant ces vers :

Sonnet


Sur la douceur d’une amitié.

Quand ma bergere parle, ou bien quand elle chante.
Ou que d’un doux clin d’œil die eblouit nos yeux,
Amour parle avec elle, et d’un son gratieux ,
Nous ravit par l’oreille, et des yeux nous enchante.

On ne le voit point tel, quand cruel il tourmente
Les cœurs passionnez de desirs furieux.
Mais bien lors qu’enfantin, il s’encourt tout joyeux
 Dans le sein, de sa mere, et mille amours enfante.

Ny jamais se jouant aux vergers de Paphos,
Ny prenant au giron des Graces son repos,
Nul ne l’a veu si beau qu’aupres de ma bergere :

Mais quand il blesse aussi, le doit-on dire Amour ?
Il l’est quand il se joue, et qu’il fait son sejour
Dans le sein de Carlis, comme au sein de sa mere.

Encor que l’aage où j’estois ne me permist pas de sçavoir ce que c’estoit que l’amour, si ne laissois-je de me plaire en la compagnie de ceste bergere, et d’user des recherches dont j’oyois que se servoient ceux qu’on appelloit