de m’y voir tellement porté, qu’il n’y a point de chaisne assez forte, soit du devoir, soit de l’obligation, qui m’en puisse retirer. Et j’adovue librement, que s’il faut que chacun ait quelque inclination de la nature, que la mienne est d’inconstance, de laquelle je ne dois point estre blasmé. puis que le Ciel me l’ordonne ainsi. Ayez ceste consideration devant les yeux, cependant que vous escouterez le discours que je vay vous faire.
Entre les principales contrées que le Rhosne en son cours impetueux va visitant, apres avoir receu l’Arar, l’Isere, la Durance, et plusieurs autres rivieres, il vient frapper contre les anciens murs de la ville d’Arles, chef de son pays, et des plus peuplées et riches de la province des Romains. Aupres de ceste belle ville se vint camper, il y a fort long temps, à ce que j’ay ouy dire à nos druydes, un grand Capitaine nommé Caius Marius, devant la remarquable victoire qu’il obtint contre les Cimbres, Cimmeriens, et Celtoscythes, aux pieds des Alpes, qui estans partis du profond de l’Océan Scythique, avec leurs femmes et enfans, en intention de saccager Rome, furent tellement deffaits par ce grand capitaine, qu’il n’en resta un seul en vie. Et si les armes Romaines en avoient espargné quelqu’un, la barbare fureur qui estoit dans leur courage leur fit tourner leurs propres mains contre eux-mesmes, et de rage se tuer, pour ne pouvoir vivre, ayans esté vaincus. Or l’armée Romaine, pour r’asseurer les alliez, et amis de leur Republique, venant camper, comme je vous disois, pres de ceste ville, et selon la coustume de leur nation ceignant leur camp de profondes tranchées, il advint qu’estans fort pres :du Rhosne, ce fleuve qui est tres-impetueux, et qui mine et ronge incessamment ses bords, peu à peu vint avec le temps à rencontrer ces larges et profondes fosses, et entrant avec impetuosité