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dit vray, eut bien eu assez de pouvoir en elle pour les luy faire chercher fort curieusement, encore qu’ils eussent este fort cachez : mais la coupure qui estoit encore toute fresche les lui descouvrit assez tost. 0 Dieu  ! comme elle les recogneut pour estre de Celadon, et comme promptement elle y courut pour les lire, mais combien vivement lui toucherentils l’ame  ! Elle s’assit en terre, et mettant en son giron le chappeau et la lettre de Celadon, elle demeura quelque temps les mains jointes ensemble, et les doigts serrez l’un dans l’autre, tenant les yeux sur ce qui luy restoit de son berger. Et voyant que le chappeau grossissoit àl’endroit où il avoit accoustume de mettre ses lettres, quand il vouloit les luy donner secrettement, elle y porta curieusement la main, et passant les doigts dessous la doubleure, rencontra le feutre apiecé , duquel destachant la gance, elle en tira un papier que ce jour mesme Celadon y avoit mis. Cette finesse fut inventee entr’eux, lors que la mal-veillance de leurs peres les empeschoit de se pouvoir parler; car feignant de se jetter par jeu ce chappeau, ils pouvaient aisement recevoir et donner leurs lettres. Toute tremblante elle sortit celle-cy hors de sa petite cachette, et toute hors de soyapres l’avoir despliée elle y jetta la veue pour la lire; mais elle avoit tellement esgaré les puissances de son ame, qu’elle fut contraire de se frotter plusieurs fois les yeux avant que de le pouvoir faire ; en fin elle leut tels mots :


Lettre de Celadon à la bergere Astrée

Mon Astrée, si la dissimulation, à quoi vous me contraignez, est pour me faire mourir de peine, vous le pouvez plus aisement d’une seule parole ; si c’est pour punir mon outrecuidance, vous estes juge trop doux, de m’ordonner un moindre supplice