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vous bien que c’est qu’aimer ? c’est mourir en soy, pour revivre en autruy, c’est ne se point aimer que d’autant que l’on est agreable à la chose aimée, et bref, c’est une volonté de se transformer, s’il se peut entierement en elle. Et pouvez-vous imaginer qu’une .personne qui aime de ceste sorte, puisse estre quelque fois importunée de la presence de ce qu’elle aime, et que la cognoissance qu’elle reçoit d’estre vrayement aimée, ne luy soit pas une chose si agreable, que toutes les autres au prix de celle-là ne peuvent seulement estre goustées ? Et puis, si vous aviez quelquefois esprouvé que c’est qu’aimer, comme je dis, vous ne penseriez pas que celuy qui aime de telle sorte, puisse rien faire qui desplaise. Quand ce ne serait que pour cela seulement, que tout ce qui est marqué de ce beau charactere de l’amour, ne peust etre desagreable, encor advoueriez-vous qu’il est tellement desireux de plaire, que s’il y fait quelque faute, telle erreur mesme plaist, voyant à quelque intention elle est faicte, ou que le desir d’estre aimable donne tant de force à un vray amant, que s’il ne se rend tel à tout le monde, il n’y manque guiere envers celle qu’il aime. De là vient que plusieurs qui ne sont pas jugez plus aimables en general que d’autres, seront plus aimez, et estimez d’une personne particuliere. Or voyez, Hylas, si vous n’estes pas bien ignorant en amour, puis que jusques icy vous avez creu d’aimer, et toutesfois vous n’avez fait qu’abuser du nom d’amour, et trahir celles que vous avez pensé d’aimer ? – Comment, dit Hylas, que je n’ay point aimé jusques icy ? et qu’ay-je donc fait avec Carlis, Amaranthe, Laonice, et tant d’autres ? – Ne sçavez-vous pas, dit Silvandre, qu’en toutes sortes d’arts il y a des personnes qui les font bien, et d’autres mal ? L’amour est de mesme, car on peut bien aimer comme moy, et