plus grande que l’autre. De mesme est-il de la vaillance, et de mesme aussi de l’amour, car celuy qui peut la mesurer, ou qui en peut imaginer quelqu’autre plus grande que la sienne, il n’aime pas. Par ainsi, vous voyez (Hylas) comme en commandant que l’on n’aime que mediocrement, vous ordonnez une chose impossible. Et quand vous aimez ainsi, vous faites comme ces fols melancoliques, qui croyent estre sçavans en toutes sciences, et toutefois ne sçavent rien, puis que vous avez opinion d’aimer, et en effet vous n’aimez pas. Mais soit ainsi, que l’on puisse aimer un peu : et ne sçavez-vous que l’amitié n’a point d’autre moisson que l’amitié, et que tout ce qu’elle seme, c’est seulement pour en recueillir ce fruit ? Et comment voulez-vous que celle que vous aimerez un peu, vous vueille aimer beaucoup ? puis que tant s’en faut qu’elle y gagnast, qu’elle perdroit une partie de ce qu’elle semeroit en terre tant ingrate. – Elle ne sçauroit pas, dit Hylas, que je l’aimasse ainsi.
— Voicy, dit Silvandre, la mesme trahison que je vous ay desja reprochée. Et croyez-vous, puis que vous dites que les effets d’une extreme amour sont les importunitez, que vous avez racontées, que si vous ne les luy rendiez pas, elle ne cogneust bien la foiblesse de vostre affection ? ô Hylas, que vous sçavez peu en amour ! Ces effets qu’une extrémité d’amour produit, et que vous nommez importunitez, sont bien tels peut-estre envers ceux qui, comme vous, ne sçavent aimer, et qui n’ont jamais approché de ce dieu, qu’à perte de vue. Mais ceux qui sont vrayement touchez, ceux qui à bon escient aiment, et qui sçavent quels sont les devoirs, et quels les sacrifices qui se font aux autels d’amour, tant s’en faut qu’à semblables effets ils donnent le nom d’importunitez, qu’ils les appellent felicitez, et parfaits contentements. Sçavez-