pas fidele ? – Mais, dit le berger, elle ne le sçaura pas. – Et ne voyez-vous, respondit Silvandre, que vous voulez faire avec trahison, ce que je dis qu’il faut faire avec sincerité ? Si elle ne sçait pas que vous en aimez d’autre, elle vous croira fidele, et ainsi ceste feinte vous profitera, mais jugez si la fainte peut ce que fera le vray. Vous parlez de mespris et de despit, et y a-t’il rien qui apporte plus l’un et l’autre en un esprit genereux, que de penser : celuy que je vois icy à genoux devant moy, s’est lassé d’y estre devant une vingtaine, qui ne me valent pas ; ceste bouche dont il baise ma main est flestrie des baisers qu’elle donne à la premiere main qu’elle rencontre, et ces yeux dont il semble qu’il idolatre mon visage, estincellent encores de l’amour de toutes celles qui ont le nom de femme ? Et qu’ay-je affaire d’une chose si commune ? Et pourquoy en ferois-je estat, puis qu’il ne fait rien, d’avantage pour moy, que pour la premiere qui le daigne regarder ? Quand il parle à moy, il pense que ce soit à telle ou à telle personne, et ces paroles dont il use, il les vient d’apprendre à l’escole d’une telle, ou bien il vient les estudier icy, pour les aller dire là. Dieu sçait quels mespris et quel despit luy peut faire concevoir ceste pensée !
Et de mesme pour le second point : que pour se faire aimer, il ne faut guiere aimer, et estre joyeux et galland ; car estre joyeux et rieur est fort bon pour un plaisant, et pour une personne de telle estoffe, mais pour un amant, c’est à dire, pour un autre nous mesme, ô Hylas, qu’il faut bien d’autres conditions ! Vous dites qu’en toutes choses la mediocrité seule est bonne. Il y en a, berger, qui n’ont point d’extrémité, de milieu, ny de deffaut, comme la fidelité ; car celuy qui n’est qu’un peu fidelle ne l’est point du tout, et qui l’est, l’est en extremité, c’est à dire, qu’il n’y peut point avoir de fidelité