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les bergeres, à qui il promet amitié, qui ait jamais esté. De sorte, adjousta Phillis, qu’il oblige fort celles qu’il n’aime point. – Et moy, ma maistresse, respondit Hylas, vous estes aussi contre moy ? Vous croyez les impostures de ces malicieux ? Ne voyez vous pas que Tircis, se sentant obligé à Silvandre de la sentence qu’il a donnée en sa faveur, pense le payer en quelque sorte de vous donner une mauvaise opinion de moy. – Et qu’importe cela ? dit Phillis à Silvandre. – Qu’il importe ? respondit l’inconstant ; ne sçavez-vous pas qu’il est plus difficile de prendre une place occupée, que non point celle qui n’est detenue de personne ? II veut dire, adjousta Silvandre, que tant que vous l’aimerez, il me sera plus mal-aisé d’acquerir vos bonnes graces. Mais Hylas, mon amy, combien estes-vous deceu ? Tant s’en faut, quand je verray qu’elle daignera tourner les yeux sur vous, je seray tout asseuré de son amitié ; car je la cognois de si bon jugement, qu’elle sçaura tousjours bien eslire ce qui sera meilleur.

Hylas alors respondit : Vous croyez peut estre, glorieux berger, d’avoir quelque avantage sur moy ? Ma maistresse, ne le croyez pas, car il n’en est rien. Et de fait, quel homme peut-il estre, puis qu’il n’a jamais eu la hardiesse d’aimer, ny de servir qu’une seule bergere, et encore si froidement que vous diriez qu’il se moque, là où j’en ay aimé autant que j’en ay veues de belles, et de toutes j’ay esté bien receu tant qu’il m’a pleu. Quel service pouvez-vous esperer de luy, y estant si nouveau qu’il ne sçait par où commencer ? Mais moy, qui en ay servi de toutes sortes, de tout aage, de toute condition, et de toutes humeurs, je sçay de quelle façon il le faut, et ce qui doit, ou ne doit pas vous plaire ; et pour preuve de mon dire, permettez moy de l’interroger, si vous voulez cognoistre son ignorance.