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autre costé, où estant parvenu avec quelque danger, à cause de l’obscurité de la nuict, je m’en allay sur le bord, où j’avois caché d’autres habits et tout ce que j’avois de meilleur.

Et prenant le chemin d’Agaune, je parvins sur la pointe du jour à Evians. Et vous asseure que j’estois si las d’avoir marché assez hastivement, que je fus contraint de me reposer tout ce jour-là, où de fortune n’estant point cogneu, je voulus aller prendre conseil, ainsi que plusieurs faisoient en leurs affaires plus urgentes, de la sage Bellinde, qui est maistresse des Vestales, qui sont le long de ce lac, et que depuis j’ay sceu estre mere de ma belle maistresse. Tant y a que luy ayant fait entendre tous mes desastres, elle consulta l’oracle, et le lendemain elle me dit, que le dieu me commandoit de ne m’estonner de tant d’adversitez, et qu’il estoit necessaire, si je voulois en sortir, de me voir dans la fontaine de la Verité d’amour, parce qu’en son eau estoit mon seul remede, et qu’aussi tost que je m’y serois veu, je recognoistrois et mon pere, et mon pays. Et luy ayant demandé en quel lieu estoit ceste fontaine, elle me fit entendre qu’elle estoit en ceste contrée de Forests, et puis m’en dclara la propriété et l’enchantement, avec tant de courtoisie que je luy en demeuray infiniment obligé.

Dés l’heure mesme, je me resolus d’y venir, et prenant mon chemin par la ville de Plancus, je m’en vins ici il y a quelques lunes, où le premier que je rencontray, fut Celadon, qui pour lors revenoit d’un voyage assez loingtain, duquel j’appris en quel lieu estoit ceste admirable fontaine. Mais lors que je voulus y aller, je tombay tellement malade, que je demeuray six mois sans sortir du logis ; et, quelque temps apres, que je me sentois assez fort, ainsi que je me mettois en chemin, je sceu par ceux d’alentour, qu’un magicien à cause de Clidaman l’avoit mise sous