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qu’Abariel s’en prist garde, que l’heure estant venue qu’il falloit aller au lieu destiné, apres avoir pris congé du bon vieillard, qui vint avec moy jusques sur la rive, je montay dans la petite barque, que luy mesme avois apprestée. Et puis allant doucement sous la fenestre, je fis semblant de m’y attacher, mais ce ne furent que mes habits remplis de sable. Et soudain me retirant un peu à costé, pour voir ce qu’il en adviendroit, je les ouys tout à coup retomber dans le lac, où avec la rame, je batis doucement l’eau, à fin qu’ils creussent, oyant ce bruit, que ce fust moy qui me debattois. Mais je fus bien tost contraint de m’oster de là, parce qu’ils jetterent tant de pierres, qu’à peine me peus-je sauver, et peu apres je veis mettre une lumiere à la fenestre, de laquelle ayant peur d’estre découvert, je me cachay dans le batteau, m’y couchant de mon long. Cela fut cause que la nuict estant fort obscure, et moy un peu esloigné, et la chandelle leur ostant encore d’avantage la veue, ils ne me virent point, et creurent que le batteau s’estoit ainsi reculé de luy mesme.

Or quand chacun se fut retiré de la fenestre, j’ouys un grand tumulte au bord où j’avois laissé Abariel, et comme je peus juger, il me sembla d’ouyr ses exclamations, que je pensay estre à cause du bruit qu’il m’avoit ouy faire dans l’eau, craignant que je fusse noyé. Tant y a que je me resolus de ne retourner plus chez luy, non pas que je n’eusse beaucoup de regret de ne le pouvoir servir sur ses vieux jours, pour les extremes obligations que je luy avois, mais pour la trop grande asseurance de la mauvaise volonté d’Azahyde ; je sçavois bien que si ce n’estoit à ce coup, ce seroit à un autre, qu’il paracheveroit son pernicieux dessein. Ainsi donc estant venu aux chaisnes qui ferment le port, je fus contraint de laisser mon batteau pour passer à nage de l’