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mon bien à qui tu ne voudras pas ; et pour ce, resous toy de l’accorder à Silvandre, ou je luy en choisiray une qui sera mon heritiere.

Azahide, qui estoit infiniment avare, et qui craignoit de perdre ce bien, voyant son pere en tels termes, revint un peu à soy, et le supplia de luy donner quelques jours de terme pour s’y résoudre, ce que le pere, qui estoit bon, luy accorda aisément, desirant de faire toute chose avec la douceur, et puis m’en advertir. Mais il n’estoit pas besoin, car je le cognoissois assez aux yeux, et aux discours du fils, qui commença de me rudoyer et traitter si mal, qu’à peine le pouvois-je souffrir.

Or durant le temps qu’il avoit pris, il commanda à sa fille, qui avoit l’ame meilleure que luy, sur peine qu’il la feroit mourir (car c’estoit un homme tout de sang et de meurtre) de faire semblant au bon vieillard, qu’elle estoit marrie que son pere ne voulust faire sa volonté, et qu’elle ne pouvoit pas mais de sa des-obeissance ; que tant s’en faut, elle estoit preste à m’espouser secrettement, et quand il serait faict, le temps y feroit consentir son pere. Et cela estoit en dessein de me faire mourir.

La pauvre fille fut bien empeschée, car d’un costé les menaces ordinaires de son pere, de qui elle sçavoit le meschant naturel, la poussoient à jouer ce personnage, d’autre costé l’amitié que dés l’enfance elle me portoit, l’en empeschoit ; si est-ce qu’en fin son aage tendre, car elle n’avoit point encore passé un demy siecle, ne luy laissa pas assez de resolution pour s’en defendre. Et ainsi toute tremblante, elle vint faire la harangue au bon homme, qui la receut avec tant de confiance, qu’apres l’avoir baisée au front deux ou trois fois, en fin il se resolut d’en user comme elle luy avoit dit, et me le commanda si absoluement, que quelque doute que j’eusse de cet affaire, si