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faire paroistre, aimer point ei jurer le contraire : cher frere, c’est tout l’exercice, ou plustost le supplice de ton Celadon. On dit que deux contraires ne peuvent en mesme temps estre en mesee lieu, toutesfois la vraye et la feinte amitié sont d’ordinaire en mesmes actions ; mais ne t’en estonne Point, car je suis contraint à l’un par la perfection, et à autre par le commandement de mon Astrée. Que si ceste vie te semble estrange, ressouviens toy que les miracles sont les oeuvres ordinaires des dieux et que veux tu que ma déesse cause en moy que des miracles ?


Il y avoit long temps qu’Astrée n’avoit rien respondu, parce que les paroles de Lycidas la mettoient presque hors d’elle mesme. Si est-ce que la jalousie, qui retenoit encore quelque force en son ame, luy fit prendre ce papier, comme estant en doute que Celadon l’eust escrit.

Et quoy qu’elle recogneust, que vrayement c’estoit luy, si disputoit elle le contraire en son ame, suyvant la coustume de plusieurs personnes, qui veulent tousjours fortifier, comme que ce soit, leur opinion. Et presque au mesme temps plusieurs bergers arriverent de la queste de Celadon, où ils n’avoyent trouvé autre marque de luy que son chappeau, qui ne fut à la triste Astrée qu’un grand renouvellement d’ennuy. Et parce qu’elle se ressouvint d’une cachette qu’Amour leur avoit fait inventer, et qu’elle n’eust pas voulu estre recogneue, elle fit signe à Phillis de le prendre. Et lors chacun se mit sur les regrets, et sur les louanges du pauvre berger, et n’en y eut un seul qui n’en racontast quelque vertueuse action ; elle sans plus, qui le ressentoit d’avantage, estoit contrainte de demeurer muette, et de le monstrer le moins, sçachant bien que la souveraine prudence en amour est de tenir son affection cachée, ou pour je moins de n’en faire jamais