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pas. – C’est ingratitude, reprit le berger, de recevoir du bien de quelqu’un sans l’en remercier, et comment est-il possible d’aimer la mesme personne envers qui on est ingrat ? – Par là, interrompit Leonide, je jugerois que Phillis n’aime point Diane. – II y a peu de personnes qui ne fissent ce mesme jugement, respondit Silvandre, et je croy qu’elle mesme le pense ainsi. – Si vous aviez de bonnes raisons, vous me le pourriez persuader, repliqua Phillis. – S’il ne faut que des raisons pour le prouver, dit Silvandre, je n’en ay desja plus affaire ; car quoy que je preuve ou nie une chose, cela ne la fait pas estre autre que ce qu’elle est ; si bien que puis qu’il ne me manque que des raisons pour prouver vostre peu d’amitié, qu’ay-je affaire de vous en convaincre ? Tant y a que pour faire que vous n’aimiez point Diane, il ne tient qu’à vous à le prouver.

Phillis demeura un peu empeschéa à respondre, et Astrée lui dit : II semble, ma sœur, que vous approuviez ce que dit ce berger ? – Je ne l’approuve pas, respondit-elle, mais je suis bien empeschée à la reprouver. – Si cela est, adjousta Diane, vous ne m’aimez point ; car puis que Silvandre a trouvé les raisons que vous demandiez, et ausquelles vous ne pouvez resister, il faut advouer que ce qu’il dit est vray. A ce mot, le berger s’approcha de Diane, et luy dît : Belle et juste maistresse, est-il possible que ceste ennemie bergere ait encore la hardiesse de ne me vouloir permettre de dire que le service que je vous rends, me rapporte du contentement, quand ce ne seroit que pour la response que vous venez de faire tant à mon advantage ? – En disant, respondit Astrée, que Phillis ne l’aime point, elle ne dit pas pour cela que vous l’aimiez, ou qu’elle vous aime. – Si j’oyois, respondit-il, ces paroles, je vous aime ou vous m’aimez, de la bouche de ma maistresse, ce ne seroit pas un contentement, mais un transport