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de plus de froideur envers luy, ou plustost de nonchalance, qu’elle ne fasoit pas avant la frequentation de Diane, parce que ceste nouvelle amitié, et le plaisir qu’Astrée, Diane, et elle prenoient ensemble, l’occupoit de sorte qu’elle ne soucioit plus de ces petites mignardises, dont l’affection de Lycidas estoit nourrie. Et luy qui sçavoit fort bien qu’une amour ne se peut bastir, que de la ruine d’une precedente, eut option que ce qui la rendoit plus nonchalante envers luy, et moins soucieuse de l’entretenir estoit quelque nouvelle amitié, qui la divertissoit ; et ne pouvant encores recognoistre qui ne estoit le subjet, il s’alloit tout seul rongeant par ses pensées, et se retiroit dans les lieux les plus cachez, afin de se plaindre avec plus de franchise. Et par mal-heur, lors qu’il s’en vouloit retourner, il vid, comme je vous ai dit, Silvandre et Phillis de loing, veue qui ne luy r’apporta pas peu de soupçon, car sçachant le merite du berger et de la bergere, il creut aisément que Silvandre n’ayant jamais rien aimé, s’estoit donné à elle, et qu’elle, suivant l’humeur de celles de son sexe, eust assez volontieres receu ceste donation.

Toutes ces considerations luy donnerent beaucoup de soupçon ; mais plus encore, quand passant pres de luy sans le voir, il ouyt, ou il luy sembla des paroles d’amour, et cela pouvoit bien estre, à cause de la sentence que Silvandre venoit de donner. Mais pour le faire sortir du tout patience, il advint que les ayant laissé passer, il sortit du lieu où il estoit, et pour ne les suivre, prit le chemin d’où ils venoient, et la fortune voulut qu’il s’alla rasseoir aupres du lieu où il estoit Laonice, sans la voir, où apres avoir quelque temps resvé à son desplaisir, transporté de trop d’ennuy, il s’escria assez haut : O Amour, est-il possible que tu souffres une si grande injustice sans la punir ? est-il possible qu’en ton regne