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quoy nous disons qu’une amour perissable n’est pas vray amour, car il doit suivre le sujet qui luy a donné naissance. C’est pourquoy ceux qui ont aimé le corps seulement, doivent enclorre toutes les amours du corps dans le mesme tombeau où il s’enserre, mais ceux qui outre cela ont aimé l’esprit, doivent avec leur amour voler après cet esprit aimé jusques au plus haut ciel, sans que la distance les puisse separer. Doncques toutes ces choses bien considerées, nous ordonnons que Tircis aime tousjours sa Cleon, et que des deux amours qui peuvent estre, en nous, l’une suive le corps de Cleon au tombeau et l’autre l’esprit dans les cieux. Et par ainsi, il soit d’ores en là deffendu aux recherches de Laonice de tourmenter d’avantage le repas de Cleon : car telle est la volonté du dieu qui parle en moy.

Ayant dit ainsi sans attendre les plaintes et les reproches qu’il prevoyoit en Leonice et en Hylas, il fit une grande reverance à Leonide et au reste de la troupe, et s’en alla sans autre compagne que celle de Phillis qui ne voulut non plus s’y arrester, pour n’ouyr les regrets de ceste bergere.

Et parce qu’il estoit tard, Leonide se retira dans le hameau de Diane pour ceste nuict et les bergers et les bergeres, ainsi qu’ils avoient accoustumé, sinon Laonice, qui infiniment offensée de Silvandre et Phillis, jura de ne partir de ceste contrée, qu’elle ne leur eust r’apporté un desplaisir remarquable. Il sembla que la fortune la cocnduisit ainsi qu’elle eust sceu desirer : car ayant laissé la compagne et s’estant mise dans le plus espais du bois pour se plaindre en toute liberté, en fin son bon demon luy remit devant les yeux le mespris insupportable de Tircis, combien il estoit veritablement indigne d’estre aymé d’elle, et luy fit une telle honte de sa faute, que mille fois elle jura de le haïr, et à son occasion, Silvandre et Phillis.

Il advint cependant, que Lycidas, qui depuis quelques jours commençoit d’estre mal satisfait de Phillis, à cause de quelque froideur qu’il luy sembloit de recognoistre en elle, aperceut Silvandre qui la venoit entretenant. Et il estoit vray que la bergere usoit