Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/353

Cette page n’a pas encore été corrigée

telle injustice. Ce que je feray aisément, s’il luy plaist de me repondre. Belle bergere, dites moy, aimez-vous bien Tircis ? – Bergere, dit-elle, toute personne qui me cognoistra, n’en doutera jamais. – Et s’il estoit contraint, repliqua Phillis, de s’esloigner pour long temps, et que quelqu’autre vint cependant à vous rechercher, changeriez-vous ceste amitié ? – Nullement, dit-elle, car j’aurois tousjours esperance qu’il reviendroit. – Et, adjousta Phillis, si vous sçaviez qu’il ne deust jamais revenir, laisseriez-vous de l’aimer ? – Non certes, respondit-elle. – O belle Laonice, continua Phillis. ne trouvez donc estrange que Tircis, qui sçait que sa Cleon pour ses merites est eslevée au Ciel, qui sçait que de là haut elle void toutes ses actions, et qu’elle se resjouyt de sa fidelité, ne vueille changer l’affection qu’il luy a portée, ny permettre que ceste distance des lieux separe leurs affections, puis que toutes les incommoditez de la vie ne l’ont jamais peu faire. Ne pensez pas, comme Hylas dit, que jamais nul ne repasse deçà le fleuve d’Ache-ron : plusieurs qui ont esté aimez des dieux, sont allez et revenus, et qui le sçauroit estre d’avantage que la belle Cleon, de qui la naissance a esté veue par la destinée d’un œil si doux et favorable qu’elle n’a jamais rien aimé, dont elle n’ait obtenu l’amour ? O Laonice, s’il estoit permis à vos yeux de voir la divinité, vous verriez ceste Cleon, qui sans doute est à : ceste heure en ce Heu, pour deffendre sa cause, qui est à mon aureille pour me dire les mesmes paroles qu’il faut que je profere, et lors vous jugerez que Hylas a eu tort de dire, que Tircis n’aime qu’une froide cendre.

Il me semble de la voir là au milieu, de nous revestue d’immortalité au lieu d’un corps fragile, et sujet à tous accidents, qui reproche à Hylas les blasphèmes dont il a usé contre elle.

Et que respondrois-tu, Hylas, si