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Reponse de Phillis pour Tircis

O belle Cleon, qui entends du ciel l’injure que l’on propose de te faire, inspire moy de ta divinité ; car telle te veux-je estimer si les vertus ont jamais peu rendre divine une personne humaine ; et fais en sorte, que mon ignorance n’affoiblisse les raisons que Tircis a de n’aymer jamais que tes perfections. Et vous, sage bergere, qui sçavez mieux que je devrois dire pour sa deffense que je ne sçaurois le concevoir, satisfaites aux deffauts qui seront en moy, par l’abondance des raisons qui sont en ma cause.

Et pour commencer, je diray, Hylas, que toutes les raisons que tu allegues pour preuve qu’estant aimé on doit aimer, quoy qu’elles soient fausses, te sont toutesfois accordées pour bonnes ; mais pour quoy veux-tu conclurre par là, que Tircis doit traihir l’amitié de Cleon, pour en commencer une nouvelle avec Laonice ? Tu demandes des choses impossibles, et contrariantes : impossibles, d’autant que nul n’est obligé à plus qu’il ne peut, et comment veux-tu que mon berger aime, s’il n’a point de volonté ? Tu ris, Hylas, quand tu m’oys dire qu’il n’en a point. – Il est vray, interrompit Hylas, car qu’auroit-il fait de la sienne ? – Celuy, respondit Phillis, qui aime donne son ame mesme à la personne aimée, et la volonté n’en est qu’une puissance. –Mais, répliqua Hylas, ceste Cleon à qui vous voulez qu’il l’ait remise, estant morte, n’a plus rien de personne, et ainsi Tircis doit avoir repris ce qui estoit à soy. – Ah ! Hylas, Haylas, respondit Phillis, tu parles bien en novice d’amour ; car les donations qui sont faittes par son authorité, sont à jamais irrevocables. – Et que seroit donc devenue, adjousta Hylas, ceste volonté depuis la mort de Cleon ? – Ceste petite perte, repliqua