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tous services quelque loyer soit rendu ? et la nature ne le contraint-elle d’aimer une belle femme, qui l’aime, et d’abhorrer plustost que de cherir une personne morte ? Mais cestuy-cy, tout au rebours, aux faveurs receuses de Laonice rend des discourtoisies, et au lieu des services qu’il advoue luy-mesme qu’elle luy a faits, luy servant si longuement de couverture en l’amitié de Cleon, il la paye d’ingratitude, et pour l’affection qu’elle luy a portée dés le berceau, il ne luy fait paroistre que du mespris. Si es-tu bien homme, Tircis, si monstres-tu de cognoistre les dieux, et si me semble-t’il bien que ceste bergere est telle, que si ce n’estoit que son influence la sousmet á ce mal heur, elle est plus propre à faire ressentir, que de ressentir elle-mesme les outrages dont elle se plaint ! Que si tu es homme, ne sçais-tu pas que c’est le propre de l’homme d’aimer les vivans, et non pas les morts ? que si tu cognois les dieux, ne sçait-tu pas qu’ils punissent ceux qui contreviennent à leurs ordonnances ? et que

Amour jamais l’aimer à l’aimé ne pardonne ?

Que si tu advoues que dés le berceau elle t’a servy et aimé : Dieux ! seroit-il possible qu’une si longue affection, et un si agreable service deust en fin estre payé du mespris ?

Mais soit ainsi, que ceste affection, et ce service estans volontaires en Laonice, et non pas recherchez de Tircis, puissent peu meriter envers une ame ingrate, encores ne puis-je croir que vous n’ordonniez, ô juste Silvandre, qu’un trompeur doive faire satisfaction à celuy qu’il a deceu, et que par ainsi Tircis, qui par ses dissimulations a si long temps trompé ceste belle bergere, ne soit obligé à reparer ceste injure envers elle, avec autant de veritables affections, qu’il luy en a fait recevoir de mensogneres et de fausses. Que si chacun