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s’estoit perdu, en sorte qu’on ne le voyoit plus, et que personne ne sçavoit où il estoit ! Ceste recharge de douleur me surpit si fort, que tout ce que je peus, fut de luy dire, que ceste tristesse estant passée, il reviendroit comme il s’en estoit allée ; mais, dés lors, je fis dessein de le suivre. Et afin de n’estre empeschée de personne, je partis si secrettement sur le commencement de la nuict, qu’avant le jour je me trouvay fort esloignée. Si je fus estonnée au commencement, me voyant seule dans ces obscuritez, le Ciel le sçait, à qui mes plaintes estoient adressées ; mais Amour qui m’accompagnoit secrettement, me donna assez de courage pour parachever mon dessein. Ainsi donc je poursuivy mon voyage, suivant sans plus la route que mes pas rencontroient, car je ne sçavois où Tircis alloit, ny moy aussi. De sorte que je fus vagabonde plus de quatre mois, sans en avoir nouvelle.

En fin passsant le Mont-d’or, je rencontray ceste bergere [dit-elle monstrant Madonthe] et avec elle ce berger nommé Tersandre, assis à l’ombre d’un rocher, attendant que la chaleur du midy s’abatist. Et parce que ma coustume estoit de demander des nouvelles de Tircis à tous ceux que je rencontrois, je m’adressay où je les veis, et sceus que mon berger, aux marques qu’ils m’en donnerent, estoit en ces deserts, et qu’il alloit toujours regrettant Cleon. Alors je leur racontay ce que je viens de vous dire, et les adjuray de m’en dire les plus asseurées nouvelles qu’ils pourroient. A quoy Madonthe, esmeue de pitié, me respondit avec tant de douceur, que je la jugeay attainte de mesme mal que le mien, et mon opinion ne fut mauvaise ; car je sceus depuis d’elle la longue histoire de ses ennuis, par laquelle je cogneus qu’Amour blesse aussi bien dans les cours que dans nos bois. Parce