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il me parla de ceste sorte : Et bien, Laonice, la pauvre Cleon est morte, et nous sommes demeurez pour plaindre ce ravissement. Et parce que la peine où j’estois, ne me lassoit la force de pouvoir luy respondre, il continua : Je sçay bien, bergere, que me voyant en ceste stat pour Cleon, vous demeurez estonnée, que la feinte amitié que je luy ay portée, me puisse donner de si grands ressentimens. Mais, helas ! sortez d’erreur, je vous supplie ; aussi bien me sembleroit-il commettre une trop grande faute contre amour, si sans occasion je continuois la feinte, que mon affection m’a jusques icy commandée. Sçachez donc, Laonice, que j’ay aymé Cleon, et que toute autre recherche n’a esté que pour couverture de celle-cy ; par ainsi, si vous m’avez eu de l’amitié, pour Dieu, Laonice, plaignez moy en ce desastre, qui a d’un mesme coup mis, tous mes espoirs dans son cercueil. Et si vous estes en quelque sorte offensée, pardonnes à Tircis l’erreur qu’il a fait envers vous pour ne faillir en ce qu’il devoit à Cleon.

A ces paroles, transportée de colere, je partis si hors de moy, qu’à peine peus-je retrouver mon logis, d’où je ne sortis de long temps ; mais apres avoir contrarié mille fois à l’amour, si fallut-il s’y sousmettre, et advouer que le despit est une foible deffense, quand il luy plaist. Par ainsi, me voilà autant à Tircis, que je l’avois jamais esté ; j’excuse en moy-mesme les trahisons qu’il m’avoit faites, et luy pardonne les torts et les faintes, avec lesquelles il m’avoit offensée, les nommant pour leur pardonner, non pas faintes ny trahisons, mais violences d’amour. Et je fus d’autant plus aisément portée à ce pardon, qu’amour, qui se disoit complice de sa faute, m’alloit flattant d’un certain espoir de succeder à la place de Cleon.

Lors que j’estois en ceste pensée, ne voilà pas une de mes sœurs, qui me vient advertir que Tircis