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de trop de mal, l’interrompit : Cesse, amy, et me laisse parler, afin que le peu de vie qui me reste soit employé à t’asseurer que tu ne sçaurois estre aimé d’avantage, que tu l’es de moy, qui me s’entant pressée de partir, te dis l’eternel à Dieu. Et te supplie de trois choses, d’aimer tousjours ta Cleon, de me faire enterrer pres des os de ma mere, et d’ordonner que quand tu payeras le devoir de l’humanité, ton corps soit mis aupres du mien, à fin que je meure avec ce contentement, que ne t’ayant peu estre unie en la vie, je le sois pour le moins en la mort. Il luy respondit : Les dieux seroient injustets, si ayans donné commencement à une si belle amitié que la nostre, ils la separoient si promptement. J’espere qu’ils vous conserveront, ou que pour le moins ils me prendront avant que vous, s’ils ont quelque compassion d’un affligé. Mais s’ils ne veulent, je les requiers seulement de me donner assez de vie pour satisfaire aux commandemens que vous me faites, et puis me permettre de vous suivre ; que s’ils ne tranchent ma fusée, et que la main me demeure libre, soyez certain, ô ma belle maistresse, que vous ne serez pas longuement sans moy. – Amy, luy respndit-elle, je t’ordonne outre cela de vivre autant que les dieux le voudront, car en la longueur de ta vie, ils se monstreront envers nous tres-pitoyables, puis que par ce moyen, cependant que je raconteray aux champs Elisiens nostre parfaicte amitié, tu la publieras aux vivants ; et ainsi les morts, et les hommes honoreront nostre memoire. Mais amy, je sens que le mal me contrainte de te laisser. A Dieu, le plus aimable et le plus aimé d’entre les hommes, A ces derniers mots elle mourut demeurant la teste appuyée sur le sein de son berger.

De redire icy le desplaisir qu’il en eut, et les regrets qu’il en fit, ce ne seroit que remettre le fer plus avant en sa playe ; outre que ses blessures sont encores si ouvertes, que chacun en les voyant, pourra juger quels en