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qui a desja ceste opinion, recevra de bon cœur les messages que vous luy ferez, et ainsi nous vivrons en asseurance. O quelle miserable fortune nous courons bien souvent ! Quant à moy, je pensois que si quelquefois Cleon avoit creu que j’eusse aimé ce berger, je luy en ferois perdre l’opinion en la priant de l’aimer, et comme confidente luy parlant pour luy. Mais Cleon ayant sceu les discours que j’avois tenus au berger, et voyant la contrainte avec quoy elle vivoit, jugea que par mon moyen elle en pourroit avoir des messages, et mesme des lettres.

Cela fut cause q’elle receut fort bien la proposition que je luy en fis, et que depuis ce temps elle traitta avec luy, comme avec celuy qui l’amoit, et moy je ne servois qu’à porter les billets de l’un à l’autre. O Amour ! quel mestier est celuy que tu me fis faire alors ? Je ne m’en plains toutesfois, puis que j’ay ouy dire, que je n’ay pas esté la premiere qui a fait de semblables offices pour autruy, les pensant faire pour soy-mesme.

En ce temps, parce que les Francs, les Romains, les Gots, et les Bourguignons, se faisoient une tres-cruelle guerre, nous fusmes contraints de nous retirer en la ville, qui porte le nom du Pasteur juge des trois Déesses, car nos demeures n’estoient point trop esloignées de là, le long des bords du grand fleuve de Seine. Et d’autant qu’à cause du grand abord des gens, qui de tous les costez s’y venoient retirer, et qui ne puovoient avoir les commoditez telles qu’ils avoient accoustumé aux champs, les maladies contagieuses commencerent de prendre un si grand cours par toute la ville, que mesme les plus grands ne s’en pouvoient deffendre, il advint que la mere de Cleon en fut atteinte. Et quoy que ce mal soit si espouventable, qu’il n’y a le plus souvent ny parentage, ny obligation d’amitié qui puisse