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j’eusse esté en la place de Cleon, j’eusse peut-estre douté que sa fainte n’eust esté veritable.

Estant quelquefois au milieu de nous deux, s’il se relaschoit à faire trop de demonstration de son amitié à Cleon, aussi tost il se tournoit vers moy, et me demandoit à l’oreille, s’il ne faisoit pas bien. Mais sa plus grande finesse ne s’arresta pas à si peu de chose : oyez, je vous supplie, jusques où elle passa. En particulier il parloit à Cleon plus souvent qu’à moy, luy baisoit la main, demeuroit une et deux heures à genoux devant elle, et ne se cachoit point de moy, pour les causes que je vous ay dictes. Mais en general jamais il ne bougeoit d’aupres de moy, me recherchoit avec tant de dissimulation, que la plus part continuoit l’opinion que l’on avoit eue de nos amours ; ce qu’il faisoit à dessein, voulant que seule je visse la recherche qu’il luy faisoit, parce qu’il sçavoit bien, que je ne la croyois pas, mais ne vouloit, en sorte que ce fust, que ceux qui la pourroient penser veritable, en eussent tant soit peu de cognoissance. Et quand je luy disois, que nous ne pourrions oster l’opinion aux personnes de notre amitié, et que nul ne pouvoit croire à ce que l’on m’en disoit, qu’il aymast Cleon. – Et comment, me respondit-il, voulez-vous qu’ils croyent une chose qui n’est pas ? tant y a que nostre finesse, en despit des plus malpensans, sera creue du general.

Mais luy qui estoit fort advisé, voyant qu’il se presentoit occasion de passer encor plus outre, me dit, que sur tout il falloit tromper Cleon, et que celle-là estant bien deceue, c’estoit avoir presque parachevé nostre dessein ; qu’à ceste occasion il falloit que je luy parlasse pour luy, et que je fusse comme confidente. Elle, me disoit-il,