n’eut pas beaucoup de peine à me persuader qu’il m’amoit, car outre que chacun croit facilement ce qu’il desire, encores me sembloit-il que cela estoit faisable, puis que je ne me jugeois point tant desagreable qu’une si longue pratique que la nostre n’eust peu gagner quelque chose sur luy, et mesme avec le soin que j’avois eu de luy plaire ; dequoy ceste glorieuese de Cleon passoit bien souvent le temps avec luy. Mais si Amour eust esté juste, il devoit faire tomber la mocquerie sur elle mesme, permettant que Tircis vint à m’aimer sans feinte.
Toutesfois il n’advint pas comme cela, au contraire : ceste dissimulation luy estoit tant insupportable, qu’il ne la pouvoit continuer, et n’eust esté que l’amour ferme les yeux à ceux qui ayment, il n’eust pas esté possible que je ne m’en fusse apperceue, aussi bien que la pluspart de ceux qui nous voyoient ensemble, ausquels, comme à mes ennemis plus declarez, je n’adjoustois point de foy. Et parce que Cleon et moy estions fort familieres, ceste fine bergere eut peur que le temps et la veue que j’en avois ne m’ostassent de l’erreur où j’estois. Mais, gentil berger, il eust fallu que j’eusse esté aussi advisée qu’elle, toutesfois pour se mieux cacher encore, elle inventa une ruze, qui ne fut pas mauvaise.
Son dessein, comme je vous ay dit, estoit de cacher l’amitié que Tircis luy portoit par celle qu’il me faisoit paroistre, et il advint comme elle le reposa, car on comença d’en parler assez haut, et à mon desavantage. Et encor que ce ne fussent que ceux qui ne prennent garde qu’aux apparences, si est-ce que ce nombre estant plus grand que l’autre, le bruit en courut incontinent, et le soupçon qu’on avoit auparavant de celles de Cleon, s’amortit tout à fait, si bien que je pouvois dire, qu’elle aymoit à mes despens. Mais elle qui