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comme par reproche continua : Est il possible, Astrée, que la perte de ce miserable fils [car tel le nommoit-elle] ne vous touche l’ame assez vivement, pour vous faire accompagner sa mort, au moins de quelques larmes ? S’il ne vous avoit point aymée, ou que ceste amitié vous fut incogneue, ce seroit chose supportable de ne vous voir ressentir d’avantage son malheur; mais puis que vous ne pouvez ignorer qu’il ne vous ait aymée plus que luy-mesme, c’est chose cruelle, Astrée, croyez-moy, de vous voir aussi peu esmeue, que si vous ne le cognoissiez point. La bergere tourna alors le regard tristement vers luy, et apres l’avoir quelque temps consideré, elle luy respondit : Berger, il me deplaist de la mort de vostre frere, non pour amitié qu’il m’ait portée, mais d’autant qu’il avoit des conditions d’ailleurs, qui peuvent bien rendre sa perte regrettable ; car quant à l’amitié dont vous parlez, elle a este si commune aux autres bergeres mes compagnes, qu’elles en doivent [pour le moins] avoir autant de regret que moy. – Ah  ! ingrate bergere, [s’escria incontinent Lycidas] je tiendray le Ciel pour estre de vos complices, s’il ne punit cette injustice en vous  ! Vous avez peu croire celuy inconstant, à qui le courroux d’un pere, les inimitiez des parens, les cruautez de vostre rigueur n’ont pu diminuer la moindre partie de l’extreme affection, que vous ne sçauriez feindre de n’avoir mille et mille fois recogneue en luy trop clairement. Vrayment celle cy est bien une mecognoissance, qui surpasse toutes les plus grandes ingratitudes, puis que ses actions et ses services n’ont peu vous rendre asseurée d’une chose, dont personne, que vous, ne doute plus. – Aussi, respondit Astrée, n’y avoit-il personne à qui elle touchast comme à moy. – Elle le devoit certes [repliqua le berger] puis qu’il estoit tant à vous, que je ne sçay, et si