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mais bien, que faut-il que je fasse ? – Que vous acqueriez, dit Silvandre, les bonnes graces de quelque berger. – Cela, dit Diane, n’est pas raisonnable, car jamais la raison ne contraire au devoir. Mais j’ordonne qu’elle serve une bergere, et que, tout ainsi que vous, elle soit obligée de s’en faire aimer, et que celuy de vous deux qui sera moins aimable au gré de celle que vous servirez, soit contraint de ceder à l’autre. – Je veux donc, dit Phillis, servir Astrée. – Ma sœur, respondit-elle, il me semble que vous doutiez de vostre merite, puis que vous cherchez œuvre faite ; mais il faut que ce soit cette belle Diane non seulement pour les deux raisons que vous avez alleguées à Silvandre, qui sont ses merites et son esprit, mais, outre cela, parce qu’elle pourra plus equitablement juger du service de l’un et de l’autre, si c’est à elle seule que vous vous adressiez.

Ceste ordonnance sembla si equitable à chacun, qu’ils l’observerent, apres avoir tiré serment de Diane, que sans esgard d’autre chose que de la verité, les trois mois estans finis, elle en feroit le jugement. Il y avoit du plaisir à voir ceste nouvelle sorte d’amour : car Phillis faisoit fort bien le serviteur, et Silvandre en faignant le devint à bon escient, ainsi que nous dirons cy apres. Diane d’autre costé sçavoit si bien faire la maistresse, quil n’y eust eu personne, qui n’eust creu que c’estoit sans fainte.

Lors qu’ils estoient sur ce discours, et que Leonide en elle mesme jugeoit ceste vie pour la plus heureuse de toutes, ils virent venir du costé du pré, deux bergeres, et trois bergers, qui, à leurs habits, monstroient d’estre etrangeres. Et lors qu’ils furent un peu plus pres, Leonide qui estoit curieuse de cognoistre les bergers et bergeres de Lignon par leur nom, demanda qui estoient ceux cy. A quoy Phillis respondit, qu’ils estoient estrangers, et