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quand on considere que les dieux ont fait tous ces animaux pour servir à l’homme, et l’homme pour servir aux dieux, il faut advouer que les dieux l’ont jugé estre d’avan- tage. Et par ceste raison, je veux dire, que pour cognoistre le prix de chacun, il faut regarder à quoy les dieux s’en servent, car il n’y a pas apparence, qu’ils ne sçachent bien la valeur de chaque chose. Que si nous en faisons ainsi de vous et de moy, qui ne dira que les dieux auroient une grande mescognoissance de nous, si estans egaux en merite, ils se servoient de vous pour nymphe, et de moy pour berger ?

Leonide loua en elle mesme beaucoup le gentil esprit du berger, qui soustenoit si bien une mauvaise cause, et pour luy donner sujet de continuer, elle luy dit : Quand cela seroit recevable pour mon regard, toutesfois, pourquoy est-ce que ces bergeres ne vous eussent peu arrester, puisque, selon ce que vous dittes, elles doivent avoir ceste conformité avec vous ? – Sage nymphe, respondit Silvandre, la moindre cede tousjours à la plus grande partie: où vous estes, ces bergeres en doivent faire de mesme. – Et quoy? adjousta Diane, desdaigneux berger, nous estimez-vous si peu? – Tant s’en faut, respondit Silvandre, c’est pour vous estimer beaucoup que j’en parle ainsi, car si j’avois mauvaise opinion de vous, je ne dirois pas que vous fussiez une partie de ceste grande nymphe, puis que par là je ne vous rend point son inferieure, sinon qu’elle merite d’estre aimée et respectée pour sa beauté, pour ses merites, et pour sa condition, et vous pour voz beautez et merites. – Vous vous jouez, Silvandre, respondit Diane, si veux-je croire que j’en ay assez pour obtenir l’affection d’un honneste berger.

Elle parloit ainsi, parce qu’il estoit si esloigné de toute amour, qu’entre elles il estoit nommé bien souvent l’insensible, et elle estoit