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en terre, l’appellant toute esplorée par son nom. Il avoit desjà perdu beaucoup de sang, et en perdoit à toute heure d’avantage par les deux costez de sa playe.

Et voyez quelle force a une amitié ! moy qui ne sçaurois voir du sang sans m’esvanouir, j’eus bien alors le courage de luy mettre mon mouchoir contre sa blessure, pour empescher le cours du sang, et rompant mon voile, luy en mettre autant de l’autre costé. Ce petit soulagement luy servit de quelque chose, car luy ayant mis la teste en mon giron, il ouvrit les yeux , et reprit la parole. Et me voyant toute couverte de larmes, il s’efforça de me dire : Si jamais j’ay esperé une fin plus favorable que celle-cy, je prie le Ciel, belle bergere, qu’il n’ait point de pitié pour moy. Je voyois bien que mon peu de merite ne me pourroit jamais faire atteindre ce bon-heur desiré, et je craignois qu’en fin le desespoir ne me contraignit à quelque furieuse resolution contre moy-mesme. Les dieux qui sçavent mieux ce qu’il nous faut, que nous ne le sçavons desirer, ont bien cogneu, que n’ayant vescu depuis si long temps que pour vous, il falloit aussi que je mourusse pour vous. Et jugez quel est mon contentement, puis que je meurs non seulement pour vous, mais encore pour vous conserver la chose du monde que vous avez la plus chere, qui est vostre pudicité. Or, ma maistresse, puis qu’il ne me reste plus rien puor mon contentement, qu’un seul poinct, par l’affection que vous avez recogneue en Filandre, je vous supplie de me le vouloir accorder, afin que ceste ame heureuse entierement puisse vous aller attendre aux champs Elisiens, avec ceste satisfaction de vous.

Il me dit ces paroles à mots interrompus, et avec beaucoup de peine ; et moy qui le voyois en cet estat, pour luy donner tout le contentement qu’il pouvoit desirer, luy respondis :