Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/311

Cette page n’a pas encore été corrigée

ne s’arrestoit point, ou fust que pour estre en furie il n’oyoit point sa voix, ou que pour estre estranger, il n’entendoit point son langage, Filandre mettant une pierre dans sa fronde, la luy jetta d’une si grande impetuosité, que le frappant à la teste, sans les armes qu’il y portoit, il n’y a point de doute qu’il l’eust tué de ce coup, qui fut tel, que l’estranger s’en aboucha. Mais il se releva incontinent, et oubliant la colere qu’il avoit contre moy, s’adressa tout en furie à Filandre, qui se trouva si pres, qu’il ne peut eviter le coup malheureux qu’il luy donna dans le corps, n’ayant en la main que sa houlette pour toute deffense. Toutesfois se voyant le glaive de son ennemy si avant, sa naturelle generosité luy donna tant de force et de courage, qu’au lieu de reculer il s’avança, et s’enfonçant le fer dans l’estomach jusques aux gardes, il luy planta le bout ferré de sa houlette entre les deux yeux, si avant qu’il ne l’en peut plus retirer, qui fut cause que la luy laissant ainsi attachée, il le saisit à la gorge, et de mains et de dents paracheva de le tuer. Mais, helas ! ce fut bien une victoire cherement achetée ; car ainsi que ce barbare tomba mort d’un costé, Filandre n’ayant plus de force, se laissa choir de l’autre, toutesfois si à propos, que tombant à la renverse, l’espée qu’il avoit au travers du corps, heurta de la pointe contre une pierre, et la pesanteur du corps la fit ressortir de la playe. Moy qui de temps en temps tournois la teste pour voir si ce cruel ne m’atteignoit point encores, veis bien au commencement que Filandre le couroit, et dés lors une extreme frayeur me saisit. Mais, helas ! quand je veis blessé si dangereusement, oubliant toute sorte de crainte, je m’arrestay ; mais, quand il tomba, la frayeur de la mort ne me peut empescher de courre vers luy, at aussi morte presque que luy, je me jettay