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que nous aurons faicte ? Et quant au bannissement, s’il ne nous vient d’elle, le pouvons-nous eviter de Gerestan, de qui l’impatience ne nous laissera guere d’avantage icy ?Que si toutesfois nous obtenons un plus long sejour de cest importun, et que la mort ne nous vienne du courroux de la belle Diane, helas ! pourrons-nous eviter la violence de nostre affection ? Que faut-il donc que je fasse ? Que je le luy die ? Ah ! je ne l’offenseray jamais, s’il m’est possible. Le luy tairay-je ? Et pourquoy le taire, puis qu’aussi bien ma mort luy en donnera une bien prompte cognoissance ? Quoy donc ? je l’offenseray ? Ah ! l’outrage et l’amitié ne vont jamais ensemble. Mourons donc plustost. Mais si je consens à ma mort, ne luy fais-je pas perdre le plus fidelle serviteur qu’elle ait jamais ? et puis est-il possible qu’en adorant on puisse offenser ? Je le luy diray donc, et en mesme temps luy descouvriray l’estomac, afin que le fer plus aisément punisse mon erreur, si elle le veut. Voilà, luy diray-je, où demeure le cœur de cet infortuné Filandre, qui sous les habits de Callirée, au lieu d’acquerir vos bonnes graces, a rencontré vostre courroux : vengez-vous, et le punissez, et soyez certaine que si la vengeance vous satisfait, le supplice luy en sera tres-agreable.

Belles bergeres, quand j’ouys parler Filandre de ceste sorte, je ne sçay ce que je devins, tant je fus surprise d’estonnement. Je sçay bien que je m’en voulus aller, afin de ne voir plus ce trompeur, tant pleine de despit que j’en tremblois toute. Mais Daphnis, pour achever entierement sa trahison, me retint par force, et parce, comme je vous ay dit, que nous estions fort pres du berger, au premier bruit que nous fismes, il tourna la teste, et croyant que ce ne fust que Daphnis, il s’y en vint ; mais quand il m’apperceut, et qu’il creut que je l’avois