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peu à peu en son amitié : Car, disoit-elle, l’amour envers les femmes est un de ces outrages, dont la parole offense plus que le coup : c’est un outrage que nul n’a honte de faire, pourvu que le nom luy en soit caché. De sorte que j’estime ceux-là bien advisez qui se font aimer à leurs bergeres, avant que de leur parler d’amour ; d’autant qu’amour est un animal qui n’a rien de rude que le nom, estant d’ailleurs tant agreable, qu’il n’y a personne à qui il desplaise. Et par ainsi, pour estre receu de Diane, il faut que ce soit sans le luy nommer, ny mesme sans qu’elle le voye, et user d’une telle prudence, qu’elle vous ayme aussi tost qu’elle pourra sçavoir que vous l’aimez d’amour ; car y estant embarquée, elle ne pourra par apres se retirer au port, encor qu’elle voye quelque apparence de tourmente autour d’elle. Il semble que jusques icy vous vous y estes conduit avec une assez grande prudence, mais il faut continuer. La feinte que vous avez faicte d’estre amoureuse d’elle, encores que fille, est tres à propos, estant trescertain que toute amour qui est soufferte, en fin en produit une reciproque. Mais il faut passer plus outre.

Nous faisons aisément plusieurs choses, qui nous sembleroient fort difficiles, si la coustume ne nous les rendoit aisées. C’est pourquoy ceux qui n’ont pas accoustumé une viande, la treuvent au commencement d’un goust fascheux, qui peu à peu se rend agreable par l’usage. Il faut que de là vous appreniez à rendre à Diane les discours amoureux plus aisez, et que par la coustume, ce qu’elle a si peu accoustumé luy soit ordinaire ; et pour y mieux parvenir, il faut trouver quelque invention pour luy rendre agreable vostre recherche, et que vous luy puissiez parler, encores que fille, aux mesmes termes que les bergers.

Car tout ainsi que l’oreille qui a accosutumé d’ouyr la musique, est