que ce n’estoit rien moins qu’amour. Et la dissimulée Callirée juroit qu’une des plus fortes occasions qui avoient contraint son frere à s’en aller, estoit la recherche qu’il luy faisoit ; dequoy ils me sceurent dire tant de raisons, que je me laissay aisément persuader que cela estoit, me semblant mesme qu’il n’y avoit rien qui me peust importer. Ayant donc receu ceste fainte, elle ne faisoit plus de difficulté de me parler librement de sa passion, mais toutesfois comme femme. Et parce qu’elle me juroit que les mesmes ressentimens et les mesmes passions que les hommes ont pour l’amour, estoient en elle, et que ce luy estoit un grand soulagement de les dire, bien souvent estans seules, et n’ayant point cet entretien desagreable, elle se mettoit à genoux devant moy, et me representoit ses veritables affections, et Daphnis mesme qui s’y plaisoit, quelquefois l’y convioit.
Douze ou quinze jours s’escoulerent ainsi, avec tant de plaisir pour Filandre, qu’il m’a depuis juré n’avoir jamais passé des jours plus heureux, quoy que ses desirs luy donnassent d’extremes impatiences. Et cela fut cause qu’augmentant de jour à autre son affection, et se plaisant en ces pensers, bien souvent il se retiroit seul pour les entretenir, et parce que le jour il ne vouloit nous esloigner, quelquefois la nuict, quand il pensoit que chacun dormoit, il sortoit de sa chambre, et s’en alloit dans un jardin, où sous quelques arbres il passoit une partie du temps en ses considerations. Et d’autant que plusieurs fois il sortoit de ceste sorte, Daphnis s’en prit garde, qui couchoit en mesme chambre, et comme ordinairement on soupçonne plustot le mal que le bien, elle eut opinion de luy et d’Amidor, pour la recherche que ce jeune berger luy faisoit. Et pour s’en asseurer, elle veilla de