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l’aide encores de sa robe, qui la soustenant sur l’eau, leur donna loisir de la tirer à bord, mais tant hors d’elle-mesme, que sans qu’elle le sentist, ils la porterent en la cabane plus proche, qui se trouva estre de Phillis, où quelques’ unes de ses compagnes luy changerent ses habits mouillez, sans qu’elle peut parler, tant elle estoit estonnee, et pour le hazard qu’elle avoit couru, et pour la perte de Celadon, qui cependant fut emporte de l’eau avec tant de furie, que de luy mesme il alla donner sur le sec, fort loing, de l’autre coste de la riviere, entre quelques petits arbres, mais avec fort peu de signe de vie.

Aussi tost que Phillis [qui pour lors n’estoit point chez elle ] sceut l’accident arrivé à sa compagne elle se mit à courir de toute sa force; et n’eust este que Lycidas la rencontra, elle ne se fust arrestée pour quelque autre que c’eust este. Encor luy dit-elle fort briefvement le danger qu’Astrée avoit couru, sans luy parler de Celadon; aussi n’en sçavoit-elle rien. Ce berger estoit frere de Celadon, à qui le Ciel l’avoit lie d’un nœud d’amitié beaucoup plus esfroit que celuy de parentage ; d’autre costé Astrée, et Phillis, outre qu’elles estoyent germaines, s’aymoyent d’une si estroitte amitié., qu’elle meritoit bien d’estre comparée à celle des deux freres. Que si Celadon eut de la sympathie avec Astree, Lycidas n’eut pas moins d’inclination à servir Phillis, ny Phillis à aimer Lycidas.

De fortune, au mesme temps qu’ils arriverent, Astrée ouvrit les yeux, et certes bien changez de ce qu’ils souloyent estre, quand Amour victorieux s’y monstroit triomphant de tout re qui les voyoit et qu’ils voyoient. Leurs regards estoient lents et abatus, leurs paupieres pesantes et endormies, et leurs esclairs changes en larmes, larmes toutesfois qui tenant de ce cœur tout enflamme