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osé, tant le respect a eu de force sur moy, qui me fait desesperer de le pouvoir jamais, si ce n’est qu’une longue pratique m’en donne la hardiesse. Mais cela ne peut estre sans que Filidas et Amidor s’en prennent garde, si bien, ma sœur, que pour vous dire l’estat où je suis, c’est presque un desespoir.

Callirée qui aymoit ce frere plus que toute autre chose, ressentit sa peine si vivement, qu’apres avoir quelque temps pensé, elle luy dit : Voulez-vous, mon frere, qu’en ceste occasion, je vous rende une preuve de ma bonne volonté ?– Ma sœur, luy respondit-il, quoy que je n’en sois point en doute, si est-ce que ny en cet accident, ny en tout autre, je n’en refuseray jamais de vous ; car les tesmoignages de ce que nous desirons, ne laissent de nous estre agreables, encore que d’ailleurs nous en soyons asseurez. – Or bien, mon frere, luy dit-elle, puis que vous le voulez, je vous rendray donc cestuy-cy, qui ne sera pas petit, pour le hazard en quoy je me mettray.

Et puis, elle continua : Vous sçavez la ressemblance de nos visages, de nostre hauteur, et de nostre parole, et que si ce n’estoit l’habit, ceux mesmes qui sont d’ordinaire avec nous, nous prendroient l’un pour l’autre. Puis que vous croyez que le seul moyen de parvenir à vostre dessein, est de pouvoir demeurer sans soupçon aupres de Diane, en pouvons-nous trouver un plus aisé ny plus secret, que de changer d’habits vous et moy ?Car, vous estant pris pour fille, Filidas n’entrera jamais en mauvaise opinion, quelque sejour que vous fassiez aupres de Diane, et moy, revenant vers Gerestan avec vos habits, je luy feray entendre que Daphnis et Diane vous auront retenu par force. Et ne faut qu’inventer quelque bonne excuse pour avoir congé de mon mary pour les aller voir, mais je ne sçay quelle elle sera, puis que, comme vous sçavez, il est assez