comme je fais, je serois marrie qu’il me le fallust bannir de nostre compagnie, et vous sçavez bien que j’y serois contrainte, s’il prenoit la hardiesse de m’en parler. – Et comment voulez-vous donc qu’il vive ?me dit-elle. – Comme il vivoit, luy dis-je, avant qu’il m’eust veue. – Mais, me repliqua-t’elle, cela ne se peut plus, puis qu’alors il n’avoit point encor esté atteint de ce feu qui le brusle. – Qu’il en cherche, luy dis-je, luy-mesme les moyens, sans m’offenser, qu’il esteigne ce feu. – Le feu, dit-elle, qui se peut esteindre, n’est pas grand, et le vostre est extreme. – Le feu, adjoustay-je, pour grand qu’il soit, ne brusle, si on ne s’en approche. – Encor, me dit-elle, que celuy qui s’est bruslé, fuye ce feu, il ne laisse d’avoir la bruslure, et en fuyant d’en emporter la douleur. – Pour conclusion, luy dis-je, si cela est, j’aime mieux estre le feu qui le brusle.
Avec semblables discours, nous revinsmes vers nos troupeaux, et sur le soir les ramenasmes en nos hameaux, où nous trouvasmes Filandre, à qui Filidas faisoit tant de bonne chere, et Amidor aussi, que Daphnis croyoit qu’il les eust ensorcellez, n’estant pas leur humeur de traitter ainsi avec les autres. Il demeura quelques jours avec nous, durant lesquels il ne fit jamais semblant de moy, vivant avec une si grande discretion, que n’eust esté ce que Daphnis et moy en avions veu, nous n’eussions jamais soupçonné son intention.
En fin il fut contraint de partir, et ne sçachant à quoy se resoudre, s’en alla chez sa sœur, parce qu’il l’aimoit, et se fioit en elle comme en soy-mesme. Ceste bergere, comme je vous ay dit, avoit esté mariée par authorité, et n’avoit autre contentement que celuy que l’amitié qu’elle portoit à ce frere luy pouvoit donner. Soudain qu’elle le vid, elle fut curieuse, apres les premieres salutations, de sçavoir quel avoit esté son voyage, et luy ayant respondu, qu’il vendoit