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yeux qui parloient encor plus clairement que sa bouche. mais si ces vers m’en donnerent cognoissance, sa discretion me le tesmoigna bien mieux peu apres ; car c’est un des effets de la vraye affection, que de servir discrettement et de donner cognoissance de son mal, que par les effets, sur lesquels on n’a point de puissance.

ce jeune berger recogneut l’humeur d’amidor, et d’autant que l’amour rend toujours curieux, s’estant enquis que c’estoit que de filidas, il jugea que le meilleur artifice pour leur clorre les yeux à tous deux, estoit de faire amitié bien estroitte avec eux, sans donner aucune cognoissance de celle qu’il me portoit. l’amour le rendit bien si fin et prudent, que continuant son dessein, il ne deceut pas seulement Amidor, mais presque mes yeux aussi, parce que d’ordinaire il nous laissoit pour aller vers luy, et ne venoit jamais où nous estions, que luy tenant compagnie. Il est vray que la malicieuse Daphnis le recogneut incontinent : Parce, disoit-elle, qu’Amidor n’estoit pas tant aimable, qu’il peust convier un si honneste berger que Filandre, à user de si soigneuse recherche, de sorte qu’il falloit que ce fust pour quelque plus digne sujet. Elle fut cause que je commençay de m’en prendre garde, et faut que j’advoue, qu’alors sa discretion me pleut, et que si j’eusse peu souffrire d’estre aimée, c’eust esté de luy ; mais l’heure n’estoit pas encor venue que je pouvois estre blessée de ce costé-là. Toutesfois je ne laissois de me plaire à ses actions, et d’approuver son dessein en quelque sorte.

Pour prendre congé de nous, il nous vint accompagner fort loin ; et, au partir, je n’ouys jamais tant d’asseurance d’amitié qu’il en dit à Amidor, ny tant d’offres de services pour Filidas. Et ceste folle de Daphnis me disoit à l’oreille : Figurez-vous que c’est à vous qu’il parle, et si vous ne luy respondez, vous luy faites bien