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bien plus particulierement que les autres. et luy, qui venant d’un long voyage, n’avoit autre cognoissance, ny des bergers, ny des bergeres, que celle que sa sœur luy donnoit, ne nous laissa guerre de tout le jour, si bien qu’en quelque sorte me sentant obligée à l’entretenir, je fis ce que je peux pour luy plaire. Et ma peine fut point inutile, car dés lors ce pauvre berger donna naissance à une affection, qui ne finit jamais que par sa mort. Encores suis-je tres-certaine, que si au cercueil on a quelque souvenir des vivans, il m’aime et conserve parmy ses cendres, la pure affection qu’il m’a jurée.

Daphnis s’en prit garde dés ce jour mesme, et de fait, le soir estant au lict, [parce que Filidas s’estoit trouvée mal, et n’avoit peu venir à ces jeux] elle me le dit. Mais je rejettay ceste opinion si loin, qu’elle me dit : Je voy bien, Diane, que ce jour me coustera beaucoup de prieres, et à Filandre beaucoup de peine ; mais quoy qu’il advienne, si n’en serez vous pas du tout exempte. Elle avoit accoustumé de me faire souvent la guerre de semblables recherches, parce qu’elle voyoit que je les craignois, cela fut cause que je ne m’arrestay pas à luy respondre. Si est-ce que cet advertissement fut cause, que le lendemain il me sembla de recognoistre quelque apparence de ce qu’elle m’avoit dit. L’apres-dinée, nous avions accoustumé de nous assembler sous quelques arbres, et là danser aux chansons, ou bien nous asseoir en rond, et nous entretenir des discours que nous jugions plus agreables, afin de nous ennuyer en ceste assemblée, que le moins qu’il nous seroit possible. Il advint que Filandre n’ayant cognoissance que de Daphnis et de moy, se vint asseoir entre elle et moy, et attendant de sçavoir à quoy toute la trouppe se resoudroit, pour n’estre muette, je l’enquerois de ce que je pensois qu’il me pouvoit respondre, à quoy Amidor prenant garde, entra en si grande jalousie, que laissant