me donnasse à luy, si je venois à estre libre. Ce jeune berger se mit si bien ce dessein dans l’opinion, que tant que ceste fantaisie luy dura, il ne se peut dire combien j’avois d’occasion de me louer de luy. En mesme temps Daphnis, tres-honneste et sage bergere, revint des rives de Furan, où elle avoit demeuré plusieurs années, et parce que nous étions voisines, la conversation que nous eusmes par hazard ensemble, nous rendit tant amies, que je commençay de ne m’ennuyer plus tant que je soulois. Car il faut que j’avoue que l’humeur de Filidas m’estoit de telle sorte insupportable, que je ne pouvois presque la souffrir, d’autant que la crainte qu’elle avoit que je devinsse plus sçavante, la rendoit si jalouse de moy, que je ne pouvois presque parler à personne.
Les choses estant en ces termes, Phormion tout à coup tomba malade, et le jour mesme fut si promptement étouffé d’un catarrhe, qu’il ne peut ny parler, ny donner aucun ordre à ses affaires, ny aux miennes. Filidas au commencement se trouva un peu estonnée, en fin se voyant maistresse absolue de soy-mesme, et de moy, elle resolut de se conserver ceste authorité, considerant que la liberté que le nom d’homme rapporte, est beaucoup plus agreable que n’est la servitude, à laquelle nostre sexe est soumis, outre qu’elle n’ignoroit pas, que venant à se declarer fille, elle ne donneroit peu à parler à toute la contrée. Ces raisons luy firent continuer le nom qu’elle avoit durant la vie de son pere, et craignant plus que jamais, que quelqu’un ne découvrist ce qu’elle estoit, elle me tenoit de si pres, que mal-aisément, estois-je jamais sans elle. mais, belles bergeres, puis qu’il vous plaist de sçavoir mes jeunesses, c’est à ce coup qu’il faut qu’en les oyant vous les excusiez, et qu’ensemble vous ayez ceste creance de moy, que j’ay eu tant, et de si grands ennuis pour aimer, que je ne suis