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s’en prit garde : artifice qui luy fut aisé, parce que personne n’eust creu qu’il eust voulu user d’une telle tromperie, et que jusques à certain aage, il est bien mal-aisé de pouvoir par le visage y recognoistre quelque chose. Et pour mieux decevoir les plus fins, la fit appeller Filidas, et quand elle fut en aage, luy fit apprendre les exercices propres aux jeunes bergers, ausquels elle ne s’accommodoit point trop mal. Le dessein de Phormion estoit, me voyant sans pere et sans oncle, de se rendre maistre de mon bien, par ce faint mariage, et quand Filidas, et moy serions plus grandes, de me marier avec un de ses neveux qu’il aimoit bien fort. Et veritablement il ne fut point deceu en son premier dessein, car Bellinde estoit trop religieuse envers les dieux, pour manquer à ce qu’elle sçavoit que son mary s’estoit obligé. Il est vray que me voyant ravie d’entre ses mains [car soudain apres ce mariage dissimulé, je fus remise entre celles de Phormion], elle en receut tant de déplaisir, que ne pouvant plus demeurer en ceste contrée, elle s’en alla sur le lac de Leman, pour estre maistresse des vestales et druydes d’Eviens, ainsi que la vieille Cleotine luy fit sçavoir par son oracle.

Cependant me voilà entre les mains de Phormion, qui incontinent apres retira chez soy ce neveu, auquel il me vouloit donner, qui se nommoit Amidor. Ce fut le commencement de mes peines, parce que son oncle luy fit entendre, qu’à cause de nostre bas aage le mariage de Filidas et de moy n’estoit pas tant asseuré, que si nous n’estions agreables l’un à l’autre, il ne se peust bien rompre, et que si cela advenoit, il aimeroit mieux qu’il m’espousast que tout autre, et qu’il fist son profit de cet advertissement, avec tant de discretion, que personne ne s’en peut prendre garde, taschant cependant de m’obliger à son amitié, en sorte que je