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ouy dire qu’ils estaient mes pere et mere, et peut-estre aurez sceu une partie des traverses qu’ils ont eues, pour l’amour l’un de l’autre, qui m’empeschera de les redire, quoy qu’elles ayent esté presage de celles que je devois recevoir. Et faut que vous sçachiez, qu’après que les soucis de l’amour furent amortis par le mariage, à fin qu’ils ne demeurassent oyseux, les affaires du mesnage commencerent à naistre, et en telle abondance, que s’ennuyans des procez, ils furent contraints d’en accorder plusieurs à l’amiable. Entre autres un de leurs voisins nommé Phormion les travailla de sorte, que leurs amis furent enfin d’avis, pour assoupir tous ces soucis, de faire quelques promesses d’alliance future entr’eux. Et parce que ny l’un ny l’autre n’avoyent point encores d’enfans [n’y ayant pas long temps qu’ils estoyent-mariez] ils jurèrent par Theutates sur l’autel de Belenus, que s’ils n’avoient tous deux qu’un fils, et une fille, ils les marieraient ensemble, et promirent ceste alliance avec tant de serments, que celuy qui l’eust rompue, eust esté le plus parjure homme du monde.

Quelque temps apres, mon père eut un fils, qui se perdit lors que les Gots et Ostrogots ravagèrent ceste province. Peu apres je nasquis, mais si malheureusement pour moy, que jamais mon père ne me vid, estant née apres sa mort. Cela fut cause que Phormion voyant mon père mort, et mon frère perdu, [ces barbares l’avoient enlevé, et peut-estre tué, ou laissé mourir de necessité] et que mon oncle Dinamis s’en estoit allé de deplaisir de ceste perte, se résolut, s’il pouvoit avoir un fils, de rechercher l’effet de leurs promesses. Il advint que quelque temps après sa femme accoucha, mais ce fut d’une fille, et parce qu’elle estoit aagée, et qu’il craignoit de n’en avoir plus d’elle, il fit courir le bruit que c’estoit d’un fils, et y usa d’une si grande finesse, que jamais personne ne