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n’aye recogneu vostre amour, mais vostre silence qui m’offensoit, m’a fait taire. – Puis, repliquay-je, que vous l’avez cogneu, et que vous ne m’en avez point parlé, je suis le plus offensé, car j’advoue bien d’avoir failly en quelque chose contre nostre amitié en me taisant. Mais il faut considerer qu’un amant n’est pas à soy mesme, et que de toutes ses erreurs il en faut accuser la violence de son mal ; mais vous qui n’avez point de passion, vous n’avez point d’excuse que le deffaut d’amitié.

Lysis se mit à sousrire, oyant mes raisons, et me respondit : Vous estes plaisant, Corilas, de me payer en me demandant, si ne veux-je toutesfois vous contredire, et puis que vous avez ceste opinion, voyez en quoy je puis amender ceste faute. – En faisant pour moy, respondis-je, ce que vous n’avez peu faire pour vous. C’est [il faut en fin le dire] que si je ne parviens à l’amitié de Stelle, il n’y a plus d’espoir en moy. – O Dieu ! s’escria alors Lysis, à quel passage vous conduit vostre desastre ? Fuyez, Corilas, ce dangereux rivage, où, en verité, il n’y a que des rochers et des bancs, qui ne sont remarquez que par les naufrages de ceux qui ont pris ceste mesme route. Je vous en parle comme experimenté, vous le sçavez. Je croy bien qu’ailleurs vos merites vous acquer­ront meilleure fortune qu’à moy, mais avec ceste perfide, c’est erreur que d’esperer que la vertu ny la raison le puissent faire.

Je luy respondis : Ce ne m’est peu de contentement de vous ouyr tenir ce language ; car jusques icy j’ay esté en doute que vous n’en eussiez encores quelque ressentiment, et cela m’a fait aller plus retenu. Mais puis que, Dieu merci, cela n’est pas, je veux en cet amour tirer une extreme preuve de vostre amitié. Je sçay que la haine qui succede à l’amour, se mesure à la grandeur de son devancier, et qu’ayant tant.aimé ceste belle bergere, venant à la haïr,