quelle patience l’eussé-je attendu ?
Vous trouverez peut-estre estrange, mon pere, de m’ouyr dire le prompt changement de ceste bergere, et toutesfois je vous jure qu’elle receut l’ouverture de mon amitié, aussi tost que je la luy fis, et de telle sorte, qu’avant que nous separer, elle eut agreable l’offre du service que je luy fis, et me permit de me dire son serviteur. Vous pouvez croire que Semire qui estoit aux escoutes, ne [l85/l86] demeura guiere plus satisfait de moy, qu’il avoit esté de Lysis. Et de fait, depuis ce temps il se departit de ceste recherche, si discrettement toutesfois, que plusieurs creurent que Stelle par ses refus en avoit esté la cause ; car elle ne monstra pas de s’en soucier beaucoup, parce que la place de son amitié estoit occupée du nouveau dessein qu’elle avoit en moy ; qui estoit cause que je recevois plus de faveur d’elle, que je n’eusse pas fait, de quoy Lysis s’apperceut bien tost.
Mais Amour qui veut tousjours triompher de l’amitié, m’empeschoit de luy en parler, craignant de déplaire à la bergere ; et quoy qu’il s’offensast bien fort de ce que je me cachois de luy, si ne luy en eussé-je jamais parlé sans la permission de Stelle, qui mesme me fit paroistre de desirer que cet affaire passast par ses mains. Et depuis, comme j’ay remarqué, elle le faisoit en dessein de le rembarquer encor une fois avec elle. Mais moy, qui pour lors ne prenois pas garde à toutes ces ruses, et qui ne cherchois que le moyen de la contenter, une nuict que Lysis et moi estions couchez ensemble, je luy tins un tel langage : Il faut que je vous advoue, Lysis, qu’en fin amour s’est mocqué de moy, et de plus qu’il n’y a point de delay à ma mort, s’il ne vient de vous. – De moy, respondit Lysis, vous devez estre asseuré que je ne failliray jamais à nostre amitié, encor que vostre meffiance vous y fasse faire de si grandes fautes ; et ne croyez pas que je