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qui la rend si juste, que pleust au Ciel que celuy qui en a tout le tort, en ressentist aussi tout le deplaisir ; mais mettons toutes ces choses sous les pieds, et en perdez aussi bien la memoire que j’ay perdu toute volonté de vous aimer. – J’entens, respondit Stelle, d’où procede vostre courroux, et certes vous avez bien raison de vous en formaliser de ceste sorte. Voyez, je vous supplie, le grand tort qu’on luy a fait, de ne l’avoir receu pour mary, aussi tost qu’il s’est presenté : n’est-ce pas la coustume de ne le faire jamais demander deux fois ? A la verité, si je ne vous sy pris au mot, je vous ay fait une grande offense ; mais quelle apparence y a-t’il aussi de refuser une personne si constante, qui m’a aimée presque trois mois ?

Lysis, voyant devant luy celle que son outrage ne luy permettoit d’aimer, et que son amitié ne souffroit qu’il haïst, ne sçavoit avec quels mots luy respondre. Toutesfois pour interrompre ce torrent de paroles, il luy dit : Stelle, c’est assez, nous avons esprouvé il y a long temps, que vous sçavez mieux dire que faire, et que les paroles vous croissent en la bouche d’avantage, quand la raison vous deffaut le plus. Mais tenez ce que je vous vay dire pour inviolable : autant que je vous ay autrefois aimée, autant vous hays-je à ceste heure, et ne sera jour de ma vie, que je ne vous publie pour la plus ingratte, et plus trompeuse femme qui soit sous le Ciel. A ce mot, forçant son affection, et le bras de Stelle, qu’elle appuyoit à la muraille pour le clorre contre la fenestre, il la laissa seule, et s’en alla entre les autres bergers, qui pour l’heure le garantirent de ceste ennemie.

Semire, qui, comme je vous ay dit, escoutoit tous ces discours, demeura si estonné, et si mal satisfait d’elle, que dés lors il se resolut de ne faire jamais estat d’un esprit si volage. Et ce qui luy en donna encore plus de volonté, fut que par hazard, ayant longuement recherché l’occasion de