à luy, voulut escouter ce qu’il alloit disant. Et peu apres qu’il se fut assis de l’autre costé du buisson, il ouyt qu’il reprit la parole ainsi. Et pourquoy aymerois-je ceste volage ? En premier lieu sa beauté ne m’y peut contraindre, car elle n’en a pas assez pour avoir le nom de belle. Et puis ses merites ne sont point tels, que s’ils ne sont aidez d’autres considerations, ils puissent retenir un honneste homme à son service ; et en fin son amitié, qui estoit tout ce qui m’obligeoit à elle, est si muable, que s’il y a quelque impression d’amour en son cœur, je croy qu’il est non seulement de cire, mais de cire presque fondue, tant il reçoit aisément les figures de toutes nouveautez, et qu’il ressemble à ces yeux, qui reçoivent les figures de tout ce qu’on leur presente, mais aussi qui les perdent aussi tost que l’object n’en est plus devant eux. Que si je l’ay aimée, il faut que j’advoue, que c’est parce que je pensois qu’elle m’aimast, mais si cela n’estoit pas, je l’excuse, car je sçay bien qu’elle mesme pensoit de m’aimer.
Ce berger eust continué d’avantage, n’eust esté qu’une bergere de fortune y survint, qui sembloit l’avoir suivy de loing ; et quoy qu’elle eust ouy quelques paroles des siennes, elle n’en fit semblant, et au contraire s’asseant aupres de luy, elle luy dit : Et bien, Corilas, quel nouveau soucy est celuy qui vous retient si pensif ? Le berger luy respondit le plus desdaigneusement qu’il peut, et sans tourner la teste de son costé : C’est celuy qui me fait rechercher avec quelle nouvelle tromperie vous laisserez ceux qu’a ceste heure vous commencez d’aimer. – Et quoy, dit la bergere, pourriez-vous croire que j’affectionne autre que vous ? – Et vous, dit le berger, pourriez-vous croire que je pense que vous m’affectionnez ? – Que croyez-vous donc de moy ? dit-elle. – Tout le pire, respondit Corilas, que vous pouvez croire d’une personne que vous haïssez. – Vous avez, adjousta-t’elle, d’estranges opinions